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Wilfrid DE CONTI
Temps de lecture: 13 mn environ
Illustration par Fanny Lamouroux

Le bambou est très facile à faire pousser. Il n’a pas besoin de beaucoup d’eau, ni d’engrais ou de pesticides et grandit pourtant très vite. Il contribue également  à nourrir les sols et est un bon capteur de CO2

Mais alors, où est le problème ?

Si seulement il n’y en avait qu’un…

Non seulement sa monoculture menace la biodiversité, mais les processus de fabrication de vaisselle ou de brosses à dents en bambou sont aussi très problématiques. Ces étapes donnent naissance à des objets toxiques pour l’Homme, qui ne se recyclent même pas. Bambou et greenwashing vont ainsi souvent de pair…

La monoculture du bambou menace la biodiversité

La cote de popularité de cette plante n’a jamais été aussi élevée, particulièrement dans les pays européens.

A l’autre bout du globe, de nombreux fermiers convertissent donc leurs terres en forêts de bambou… aux dépens d’autres espèces. Cela n’est en théorie pas un problème au niveau individuel, mais l’ampleur que prend aujourd’hui ce phénomène pourrait devenir inquiétante. 

La faune et la flore locales se retrouvent totalement bouleversées par ces changements soudains de végétation. Beaucoup d’espèces ont besoin de forêts mixtes pour s’épanouir. Elles se retrouvent donc menacées par la monoculture de cette plante. Leur disparition pourrait d’ailleurs impacter l’industrie du bambou en elle-même. Certains oiseaux qui luttent contre les prédateurs de cette plante pourraient par exemple disparaître. (Louise Gonda,  2012) [1]

Le réel problème étant que la plupart des forêts de bambou sont encore loin d’être gérées durablement – et l’exploitation intensive de cette plante ne risque pas d’inverser la tendance.

Objets en bambou : une fabrication problématique

Nous l’avons vu, la monoculture du bambou représente un réel problème. Et venue l’étape de la fabrication des objets, les choses ne s’améliorent pas !

Cette plante n’est pas taillée, mais assemblée pour confectionner des objets. Un assemblage qui nécessite souvent plusieurs étapes, dont les impacts négatifs se cumulent…

Il en est malheureusement de même pour les textiles fabriqués à base de bambou.

On ne taille pas le bambou, on l’assemble

L’année dernière, l’experte en santé environnementale Anne Lafourcade rappelait dans une étude (60 Millions de Consommateurs, 2020) [2] que le bois et le bambou ne sont pas du tout travaillés de la même façon. Si le bois est taillé directement, le bambou est dans la plupart des cas converti en poudre ou fibres pour ensuite être aggloméré. Un processus gourmand en liants et résines plastiques, ainsi qu’en énergie.

De plus, lors de cet assemblage, la plupart des substances toxiques sont rejetées n’importe comment dans la nature. Dans des pays où la gestion des déchets est beaucoup moins développée qu’en France…

La fabrication d’objets en bambou est ainsi loin d’être respectueuse de l’environnement. Sans compter qu’une fois ces substances incorporées aux objets, elles y resteront ! Elles pourraient d’ailleurs bien se retrouver dans notre organisme quelques mois plus tard. Nous aborderons ce point un peu plus bas ⬇

Le cas des textiles en bambou

Beaucoup de textiles en bambou sont en réalité composés de “rayonne” ou “viscose” de bambou. Une fibre artificielle dont la fabrication requiert non seulement d’énormes quantités d’eau et d’énergie, mais nécessite aussi l’utilisation de produits ayant pour but de rendre la matière plus douce. 

Problème : ces substances sont très chimiques ! Les travailleurs de ces usines sont donc constamment exposés à des solvants nocifs et développent par la suite d’importants problèmes de santé. Sans oublier la pollution engendrée dans les alentours et les répercussions sur les habitants riverains. (Green Matters, 2020) [3]

Beaucoup d’objets en bambou sont toxiques

“La plupart des mugs en bambou présents sur le marché contient des taux de mélamine allant jusqu’à 60%.” (fondation GoodPlanet, 2021) [4]

La mélamine-formaldéhyde (souvent abrégée mélamine) est un plastique thermodurcissable cancérigène et perturbateur endocrinien, notamment utilisé pour fabriquer des produits à base de poudre de bambou. Le formaldéhyde est classé cancérigène par le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer). La mélamine, elle, est extrêmement toxique pour les reins (inflammations, calculs rénaux…).

Le danger survient lorsque la mélamine-formaldéhyde est mélangée à de la fibre de bambou. La matière obtenue est très peu homogène et donc assez instable. Ses composants peuvent donc facilement se retrouver dans vos aliments ou ceux de vos enfants ! La chaleur facilitant le transfert de ces produits, vous comprendrez vite à quel point ce problème est sérieux : un bol passé au micro-ondes peut très vite devenir toxique ! (60 Millions de Consommateurs, 2020) [2]

“Tant que je ne le mets pas au micro-ondes, ça va”

Pas vraiment. Un court passage au lave-vaisselle ou la présence d’aliments acides peuvent aussi suffire à accélérer la migration de ces substances. Il s’agit d’un problème à prendre très au sérieux ! La Commission européenne vient d’ailleurs de rappeler dans une note (Commission européenne, 2021) [5] que mélanger plastique et bambou dans des objets pouvant être en contact avec des substances alimentaires était formellement interdit. Un avertissement encore largement ignoré par beaucoup d’acteurs du marché…

“Je n’ai pas de vaisselle en bambou, seulement des brosses à dents”

Entre nous…après avoir lu tout cela, avez-vous vraiment envie de mettre une brosse à dents en soi-disant “bambou” dans votre bouche pendant 2 à 3 minutes, plusieurs fois par jour ?

Le bambou ne se recycle pas

Le bambou, ce n’est pas du bois.

Eh oui ! Le bambou est une plante de la famille des graminées. Pas question de le recycler dans la filière bois. 

“Pourtant, de nombreux consommateurs soucieux de bien faire déposent leurs objets en bambou à recycler au même endroit. Ce qui, en plus d’être inutile, perturbe le recyclage du bois ! L’enfer est pavé de bonnes intentions…” (Nicolas Pont, Directeur Eco Conception et Recyclage chez Veolia France)

Lorsque des morceaux de produits en “bambou” se retrouvent dans le processus de recyclage de celui-ci, il est très difficile de les en extraire. Ces bouts de bambou mélangé se mêlent ainsi au reste du bois, créant alors des inclusions dans les planches et donc des lignes de faiblesse dans les éléments de construction ou meubles issus de ce recyclage. 

“Attention, le bambou ne se recycle pas non plus dans la filière plastique. La résine incorporée dans de nombreux objets en bambou est thermodurcissable – une fois durcie, cette substance ne peut être fondue. Il est donc aujourd’hui impossible de recycler ces objets.”, poursuit Nicolas.

Certaines marques se défendent en clamant que leurs objets en bambou sont biodégradables. Là encore…ça se discute. Si du bambou est souvent incorporé dans des objets de cuisine ou de salle de bain, ce n’est pas pour rien. Il s’agit d’un matériau robuste et résistant à l’humidité, qui met par conséquent beaucoup d’années à se biodégrader. Il y a donc dans tous les cas une disproportion entre le temps d’utilisation d’un objet en bambou et le temps qu’il lui faudrait pour se désintégrer ! En supposant que cet objet soit constitué de bambou à 100%, ce qui est rarement le cas…

Bambou et greenwashing : la pastèque sur le gâteau

“Brosse à dents en bambou 100% naturelle et biodégradable”

Beaucoup de marques jouent sur la volonté des consommateurs de mieux consommer pour redorer leur image et se faire des marges sur des produits faussement écologiques. D’autres manquent d’informations et suivent simplement la tendance du marché : “Le bambou, c’est écolo et ça plaît ? On se lance !”

Quelles que soient les motivations des entreprises, le résultat est malheureusement le même : les consommateurs achètent en pensant bien faire, mais contribuent en fait à nourrir un greenwashing déjà bien en chair.

Les entreprises se donnent par exemple beaucoup de peine à communiquer sur la biodégradabilité de cette plante, mais omettent souvent d’en préciser les conditions : prenez-vous le temps de retirer les poils en nylon de votre brosse à dents avant de vous en débarrasser (car eux ne sont pas biodégradables) ? Et les agrafes qui se trouvent dans la tête de la brosse, comment les retirez-vous ? Êtes-vous sûr(e) que son manche est composé de bambou à 100% et d’absolument aucun autre composant ? Sous combien de temps votre brosse pourrait-elle se biodégrader ? À quelle température ? À quel endroit ? 

L’un des principaux problèmes posés par la vente d’objets en bambou est le marketing qu’il y a derrière et le manque de sensibilisation des consommateurs à ces problématiques. Les marques profitent de la mauvaise presse du plastique pour faire du profit sur le dos du bambou, en persuadant tout un chacun qu’il est le nouveau héros des temps modernes. Les gens payent donc souvent plus cher pour…moins bien !

 

Vous l’aurez compris, utiliser du bambou pour la fabrication d’objets du quotidien est une absurdité : la plante se retrouve dans la plupart des cas totalement transformée, pour n’être utilisée que quelques mois seulement. Elle nuit alors à l’environnement, en plus d’être nocive pour l’Homme ! L’utilisation de bambou est uniquement pertinente lorsque cette plante ne subit aucune transformation, ce qui est extrêmement rare.

 

[1] Gouda, L. (2012), “Intensification de la consommation du bambou : solution écologique ou exploitation inquiétante ?”, https://docplayer.fr/45770201-Intensification-de-la-consommation-du-bambou.html

[2] 60 Millions de Consommateurs (2020), “Prudence avec la vaisselle en bambou”, https://www.60millions-mag.com/2020/01/27/prudence-avec-la-vaisselle-en-bambou-17130

[3] Green Matters (2020), « Is Rayon Sustainable? The Fabric Is a Bit Controversial », http://www.greenmatters.com/p/is-rayon-sustainable

[4] Fondation GoodPlanet (2021), “Le mug en bambou : sain et écologique ?”, https://www.goodplanet.org/fr/le-mug-en-bambou-sain-et-ecologique/

[5] European Commission (2021), “Bamboo-zling”, https://ec.europa.eu/food/safety/agri-food-fraud/eu-coordinated-actions/bamboo-zling_en

 

L’auteur :

Charlotte Kinziger
Chargée de marketing digital

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